L’état de nos tripes définit-il notre âge ? C’est peut-être le cas, selon une étude de l’Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement à Nice (IRCAN), publiée le 4 mai 2023 dans le journal Nature Aging. L’équipe dirigée par Miguel Godinho Ferreira a étudié l’effet du rajeunissement de l’intestin chez le poisson-zèbre, montrant qu'il pouvait avoir des bénéfices sur tout l’organisme, augmentant significativement sa longévité.
Les intestins vieillissent plus rapidement que le reste du corps
Les chercheurs ont d’abord étudié l’impact du vieillissement cellulaire dans l’intestin, grâce à des poissons-zèbres modifiés génétiquement pour ne pas exprimer la télomérase. Cette enzyme rallonge les télomères, des structures qui protègent les extrémités des chromosomes et qui raccourcissent avec l’âge. Le manque de télomérase accélère le raccourcissement de ces télomères et cause un vieillissement précoce. Cet effet est observable dans les intestins avant d'apparaître dans le reste du corps, avec une augmentation importante de l’inflammation et un affaiblissement de la barrière intestinale.
Rallonger les télomères protège l’intestin et le microbiote
Intrigués par cet effet prématuré sur le système digestif, les chercheurs ont étudié ce qui se passerait si l’on protégeait l’intestin davantage que les autres organes. Ils ont encore modifié leurs poissons-zèbres pour qu’ils n’expriment la télomérase que dans des cellules de l’intestin (les entérocytes), évitant ainsi le raccourcissement précoce des télomères uniquement dans cet organe. Ainsi, les effets négatifs du vieillissement précoce observés précédemment étaient évités : le métabolisme de ces cellules améliorait et elles produisaient moins de stress oxydatif, diminuant l’inflammation intestinale.
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Une autre conséquence du vieillissement prématuré de l’intestin était l’appauvrissement du microbiote. Les animaux qui n’avaient pas la télomérase avaient une réduction importante de la diversité bactérienne dans l’intestin. Avec notamment une diminution des bactéries appartenant aux classes Alphaproteobacteria et Planctomycètes, qui protègent contre la mort cellulaire de l’organisme hôte. Alors que d’autres classes plus nuisibles, telles que Gammaproteobacteria (associée à une perte d’intégrité de la barrière intestinale) augmentent. Mais l’expression de télomérase dans l’intestin évitait aussi ce dérèglement du microbiote.
Un intestin plus jeune améliore aussi la fonction des autres organes…
Le manque de télomérase causait le vieillissement d’autres organes en plus de l’intestin, notamment des testicules, diminuant considérablement la fertilité des animaux qui n’avaient pas cette enzyme. Cependant, l’expression de télomérase dans les cellules de l’intestin parvenait à protéger aussi les testicules. Les chercheurs ont montré que les poissons-zèbres exprimant cette enzyme dans le système digestif avaient une fertilité comparable à celle des animaux qui l’exprimaient dans la totalité du corps. D’autres organes analysés, tels que les reins, étaient eux aussi protégés par un intestin rajeuni.
… et pourrait même rallonger l’espérance de vie
Éviter le vieillissement prématuré de l’intestin parvenait à protéger le reste du corps, ce qui avait comme conséquence une durée de vie accrue. Les animaux avec télomérase dans l’intestin vivaient environ 40 % plus longtemps que ceux sans cette enzyme (24 mois contre 17 mois, alors que la durée de vie normale du poisson-zèbre est de 42 mois). En revanche, la surexpression de cette enzyme chez des animaux normaux (âgés d’environ 25 mois) ne réussissait pas à augmenter leur durée de vie et l’effet de ce surplus de télomérase n’a pas été étudié sur des individus plus âgés. Pour le moment, l’ajout de télomérase dans les intestins semblerait pertinent principalement dans le cas de vieillissement prématuré causé par un raccourcissement précoce des télomères, tels que les téloméropathies (maladies génétiques qui causent de télomères trop courts). Mais il est encore nécessaire de vérifier chez les humains les effets bénéfiques observés dans cette étude.