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Cerveau et psy

Question de la semaine : comment s’explique la sensation de “déjà-vu” ?

“Peut-on scientifiquement expliquer le  déjà-vu ? Et par quel type de science ?” C'est la question de lecteur de la semaine de Sciences et Avenir

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Lors d'une sensation de déjà-vu, tout se passe comme si le cerveau buggait.

Lors d’une sensation de déjà-vu, tout se passe comme si le cerveau “buggait”.

“Peut-on scientifiquement expliquer le "déjà-vu" ? Et par quel type de science ?” C'est la question que nous adresse Myriam Chibane cette semaine sur la page Facebook de Sciences et Avenir. Chaque semaine, nous sélectionnons une question de lecteur à laquelle nous apportons une réponse. Merci pour votre insatiable curiosité !

C'est un casse-tête pour la science. De très nombreuses théories ont été avancées pour expliquer cette étrange sensation d’avoir déjà vécu une scène qui est pourtant en train de se dérouler. La définition la plus utilisée aujourd'hui vient du neuropsychologue américain Vernon Neppe : le déjà-vu est “une impression subjective et inappropriée de familiarité de l’expérience en cours non associée à un souvenir précis”. À ce jour, aucune des hypothèses avancées pour expliquer ce phénomène ne peut prétendre épuiser ce qui se passe dans un cerveau sujet au “déjà-vu”. Mais c'est vraisemblablement du côté des neurosciences qu’il faut chercher une explication rationnelle à cette perturbation de notre perception linéaire du temps. Tout se passe en effet comme si le cerveau “buggait”. Le déjà-vu se trouve d'ailleurs souvent associé à l'épilepsie, dont il peut être un symptôme annonciateur de crise. Mais cette sensation perturbante est aussi largement répandue en dehors de ce cadre pathologique, en particulier chez les personnes jeunes, entre 20 et 40 ans, qui sont entre 50 % et 80 % à l’avoir déjà ressentie. 

Une erreur de stockage de la mémoire ?

Les cas de déjà-vu intervenant avant une crise d’épilepsie sont toutefois une piste pour mieux comprendre ce qui se passe. Cette piste a été étudiée par Fabrice Bartolomei, professeur de neurophysiologie clinique à l’hôpital de la Timone, à Marseille, spécialiste de l’épilepsie. Cette pathologie se caractérise notamment par des crises déclenchées par une altération de l’activité électrique des neurones ; comme des courts-circuits dans la machinerie cérébrale. C’est chez des patients atteints d’une forme particulière d’épilepsie que se retrouvent ces “déjà-vu”, qui se développent dans les lobes temporaux, parties latérales du cerveau situées au niveau des tempes. En 2012, le Pr Bartolomei et son équipe mettent en évidence chez ces patients un dysfonctionnement de la zone rhinale, située sous l’hippocampe, au cœur du cerveau. L’une des fonctions de ce cortex rhinal est de repérer les éléments nouveaux dans l’environnement avant de transmettre les informations à l’hippocampe chargé du stockage de la mémoire. En stimulant cette zone chez leurs patients, les chercheurs étaient parvenus à provoquer un déjà-vu. Ces “souvenirs du présent” comme les appelait le philosophe Henri Bergson, seraient donc dus une inactivation temporaire du cortex rhinal, créant une confusion entre la perception présente et ce qui a déjà été mémorisé. Du moins chez les sujets atteints d’épilepsie touchant les lobes temporaux.

Un processus de vérification cérébrale ?

Mais de tels courts-circuits se produisent-ils aussi chez les personnes non atteintes d’épilepsie ? C’est la question que posent les nombreux cas de déjà-vu non pathologiques. Mais ceux-ci sont forcément plus difficiles à étudier sur le plan expérimental. Pour se faire une idée précise de ce qui se passe dans le cerveau au moment d’un “déjà-vu”, des chercheurs de l’université Saint Andrew (Écosse) ont observé ce phénomène en 2016 par IRMf chez 21 volontaires, un examen qui permet de visualiser avec précision l’activité cérébrale. Pour faire coïncider un examen IRM avec un événement comme le déjà-vu, imprévisible par nature ? Avec ses collègues, Akira O'Connor, neuropsychologue qui a dirigé ces travaux, a eu une idée : simuler l’impression de déjà-vu en utilisant une technique standard de création de faux souvenirs.

Il s’agissait de lire une série de mots relevant d’une même thématique qui, elle, n’était jamais dite : “Oreiller”, “lit”, “nuit”, “couverture”, “rêve”… sans jamais prononcer le mot “sommeil” donc. Dans un premier temps, les expérimentateurs ont demandé aux volontaires s’ils avaient entendu un mot commençant par la lettre “s”. La réponse était non. Dans un second temps, on leur demandait s’ils avaient entendu le mot “sommeil”. À ce moment, les participants savent que ce mot n’a pas pu être prononcé, puisqu'il commence par un “s”, et pourtant... ils avaient l'impression vivace de l’avoir entendu... C’est ainsi que les chercheurs ont obtenu une sorte de déjà-vu expérimental.

Les observations réalisées sur les 21 cerveaux soigneusement induits en erreur battent en brèche la théorie d’un dysfonctionnement qui pousserait le cerveau à inscrire une perception présente directement dans la mémoire à long terme. En effet, selon les chercheurs, les régions du cerveau impliquées dans la mémoire, notamment l’hippocampe, sont restées en sommeil durant l’expérience. Une observation qui suggère que le déjà-vu n’est pas consécutif à la création de faux souvenirs. Au contraire, ce sont des zones impliquées dans la prise de décision et la résolution des conflits qui se sont activées au niveau du lobe frontal.

Pour Akira O’Connor, il s’agit donc plutôt d’un “conflit entre une sensation subjective de familiarité et une sensation objective que cette familiarité ne peut pas être correcte”. Autrement dit, le déjà-vu ne serait pas le résultat d’un dysfonctionnement cérébral, mais au contraire l’outil par lequel celui-ci vérifie que la situation présente est bel et bien différente de ce que l’on a l’impression d’avoir déjà vécu. Un filtre qui nous alerte contre les faux souvenirs. Cette étrange sensation serait ainsi le signe d’un cerveau en forme, qui vérifie ses souvenirs, et à qui “on ne la fait pas”. La théorie reste bien sûr à vérifier — comme l’hypothèse d’une dysfonction du cortex rhinal — mais qui pourrait notamment expliquer pourquoi ces sensations ont tendance à se raréfier avec l'âge. En vieillissant, “il est possible que le système de contrôle décline et que vous soyez moins susceptible de repérer des erreurs de mémoire”, explique Akira O'Connor. Quant aux quelque 30 % de la population qui n’auraient jamais vécu un déjà-vu, cela pourrait tout aussi bien être dû au fait que leur cerveau ne fait pas d’erreur.

L’explication du Pr Yves Agid, neurologue et directeur scientifique de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), qui pointe lui aussi la nature particulière des sensations de déjà-vu chez les personnes sujettes à des crises d’épilepsie.

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