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Santé

Révision de la loi de bioéthique : La France peut-elle autoriser des manipulations sur le génome humain ?

Serait-il possible d'autoriser des manipulations sur le génome d'embryons humains avant transplantation, comme l'a fait le chercheur chinois Jiankui He ? Alors que le projet de loi sur la révision de la loi de bioéthique devrait être présenté par le gouvernement avant l'été, entretien avec Bénédicte Bévière-Boyer, spécialiste en bioéthique.

 

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Bénédicte Bévière-Boyer

Bénédicte Bévière-Boyer, maîtresse de conférences à l’Université Paris-8.

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Cet article est un "plus numérique" du daté mai 2019 de Sciences et Avenir (numéro 867, daté mai 2019), à paraître jeudi 25 avril 2019.

Comme elle doit légalement le faire tous les 7 ans, la France s'est engagée dans le 3e processus de révision de la loi de Bioéthique (1994). A l'issue du rendu du rapport d'information par le député Jean-Louis Touraine –faisant état de 60 propositions–, le gouvernement élabore un projet de loi qui devrait être présenté avant l'été au Parlement. Des discussions qui ont désormais pour toile de fond l'annonce polémique, en novembre 2018, par le chercheurs chinois Jiankui He de la naissance en Chine de jumelles après intervention sur leur génome à l'aide de l'outil génétique Crispr-Cas9. Une manipulation qui a soulevé une vague d'indignation internationale. Une telle intervention pourrait-elle être, un jour, autorisée en France ? Réponse de Bénédicte Bévière-Boyer, maîtresse de conférences à l’Université Paris-8, directrice adjointe du Centre de recherches juridiques en droit de la santé, spécialiste en bioéthique.

Sciences et Avenir : Le chercheur chinois Jiankui He a provoqué une vague d’indignation internationale en annonçant en novembre 2018 avoir modifié le génome à l’état embryonnaire de jumelles par la méthode dite Crispr-Cas9. Une telle manipulation elle-t-elle possible en France?
 

Bénédicte Bévière-Boyer : Absolument pas. En raison de l’article 16-4 du Code civil qui précise que "Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine. Toute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est interdite (…) Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne. » Les propositions faites dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, qui devraient être présentées au gouvernement puis discutées au Parlement à l’été 2019 pour être votées à l'automne, ne changeront pas cette disposition. Il sera toujours strictement interdit de manipuler le génome d'embryons en vue de les transférer dans l’utérus, en dehors de motivations préventives, diagnostiques et thérapeutiques, et ce uniquement si ces modifications ne sont pas transmises à la descendance. Néanmoins, les propositions faites par la mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique montrent une volonté d’avancer dans la recherche en raison de la compétitivité internationale. Elles s’orientent donc vers la levée de l’interdiction d’expérimentations portant sur les cellules germinales (spermatozoïdes, ovocytes) en vue d’étudier leurs effets, l’objectif étant d’éviter que les chercheurs français restent au ban ou partent à l’étranger. Il y a donc une volonté d’ouvrir la possibilité de mener des recherches avec Crispr-Cas 9 sur l’embryon en vue d’avancer dans la lutte contre le cancer ou la maladie d’Alzheimer par exemple. Mais ces embryons ne pourraient en aucun cas être ultérieurement implantés dans l’utérus en vue de leur développement.

Cette interdiction de toute modification du génome humain est-elle internationale ?
 

Oui, en vertu de la déclaration universelle de l’UNESCO sur le génome humain et les droits de l’Homme, adoptée à l’unanimité en 1997 et - surtout ! - de la Convention d’Oviedo signée par 29 pays européens en 1997 - dont la France qui l’a ratifiée en 2011 - et qui est le seul traité international juridiquement contraignant traitant des droits de l’homme dans le domaine biomédical. Mais, émanant du Conseil de l’Europe, cette Convention ne concerne pas les Etats-Unis et la Chine ! Ce qui peut expliquer la latitude dont a bénéficié Jiankui He dans son pays pour mener ces expériences sur des jumelles. Une autre grossesse est d'ailleurs en cours. Rappelons que le chercheur a modifié le gène CCR5 - initialement sain - des embryons en vue de les rendre résistants au VIH en raison de la séropositivité du père. Or, ces jumelles auraient pu bénéficier d’autres traitements, d’autant qu’il n’est pas certain qu’elles aient été contaminées. En outre, il semble que cette manipulation ait eu aussi pour objectif d’augmenter potentiellement leurs capacités cognitives car elle pourrait avoir des répercussions sur le développement du cerveau. 
 

La Chine a officiellement condamné ces recherches et assigné le chercheur à résidence. Va-t-elle renforcer sa législation?
 

Le gouvernement chinois en a annoncé l’intention en février 2019. Il souhaite renforcer les conditions particulières que la Haute autorité de santé chinoise et le Ministère des Sciences et de la technologie chinois avaient édictées en 2003 et qui interdisaient les recherches modifiant génétiquement les embryons, car celles-ci se sont de toute évidence révélées insuffisantes. Le ministère de la santé souhaite donc désormais que toute demande de recherche soit soumise à la Commission nationale de la santé et de très lourdes amendes, jugées dissuasives, pourraient être appliquées à l’encontre de chercheurs ou d’institutions contrevenantes. Ceux-ci pourraient par exemple perdre, à vie, leur autorisation d’exercer. En outre, tout chercheur percevant des revenus illicites à la suite de recherches non autorisées pourrait être sanctionné à hauteur de 10 à 20 fois les revenus perçus.
Mais la Chine fait face à une situation très délicate : d’un côté, elle veut conserver une place de pionnière dans la recherche mondiale, de l’autre, elle doit ménager son image internationale. Le pays y est d’ailleurs encouragé sur place - et comme j’ai pu le constater à chacun de mes déplacements - par la plupart des chercheurs et une grande partie de la population qui affichent leur volonté de préserver l’humain de toute modification génétique. 122 chercheurs chinois ont signé une déclaration commune en ce sens, condamnant l’expérience de leur homologue Jiankui He. Mais une enquête, réalisée auprès de 4000 Chinois a tout de même montré que 25% d’entre eux seraient prêts à recourir à la technique Crispr-Cas 9 en vue d’augmenter leur intelligence et leurs performances sportives, ce qui pourrait constituer une porte ouverte à d’autres expériences. L’évolution de la réflexion de la Chine concernant la bioéthique est donc cruciale. Des réflexions communes sont d'ailleurs menées entre les universités françaises et chinoises : j’ai ainsi organisé plusieurs rencontres sur des sujets tels que l’Intelligence artificielle et la santé, la dignité humaine en santé ou le statut du corps humain afin que nous réfléchissions de concert sur nos pratiques respectives. 
 

Quelles dispositions la communauté internationale a-t-elle prises depuis la révélation des recherches de Jiankui He ?
 

Des initiatives se mettent en place. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a appelé à une gouvernance renforcée au plan international afin que les nations puissent réagir de façon plus opérante aux évolutions rapides de ces techniques. Aux Etats-Unis, le président de l’Académie de médecine a demandé, lors du Forum économique mondial de Davos (Suisse) en janvier 2019, un réexamen des recommandations édictées dans ce pays en 2017 afin qu’elles soient plus claires. Les autorités américaines envisagent également de renouveler l’interdiction des modifications génétiques de l’être humain à l’occasion d’un projet de loi où seront discutées les modalités de financement de la Food and Drug administration (FDA). Enfin, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a mis en place un comité consultatif d’experts sur l’élaboration de normes mondiales pour le contrôle du génome humain dont la première réunion a eu lieu en mars 2019. Il est en effet crucial d’assurer la préservation et la protection du patrimoine génétique de l’humanité, dans sa spécificité, son authenticité, sa variété, pour la pérennité de notre espèce au profit des générations futures.
 
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