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Santé

Baclofène et alcoolisme : un comité d'expert juge son efficacité insuffisante

Première étape de la demande d'AMM en cours du baclofène dans l'alcoolisme, l'évaluation des données disponibles par un comité d'expert missionné par l'Agence du Médicament a rendu un avis négatif, jugeant son efficacité "insuffisante".

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Baclofène et alcoolisme : un comité d'expert juge son efficacité insuffisante

Près de 100.000 personnes souffrent d'alcoolisme en France.

GARO / Phanie / AFP

Revers pour les partisans de l'utilisation du baclofène dans l'alcoolisme. Déjà utilisé par des milliers de patients, son efficacité a été jugée insuffisante par un comité d'experts missionné par l'Agence du médicament (ANSM), d'après un avis rendu public mardi 24 avril 2018 au soir. Une conclusion vivement contestée par ses partisans. Il s'agit de la première étape d'évaluation du bien fondé d'attribuer une autorisation de mise sur le marché (AMM) officielle au baclofène dans cette indication, la suivante étant un débat public prévu courant 2018.

Le baclofène, un vrai casse-tête du bénéfice/risque

Le baclofène, prescrit depuis les années 1970 comme relaxant musculaire dans le cadre des contractures accompagnant la sclérose en plaques, a commencé à faire parler de lui dans le traitement de l'alcoolodépendance en 2008 suite à la sortie du livre d'Olivier Ameisen relatant une guérison après sa prise à haute dose. Depuis 2014, le baclofène est ainsi remboursé à 30% dans l'alcoolodépendance dans le cadre d'une Recommandation Temporaire d'Utilisation (RTU), un système qui permet au médicament d'être prescrit dans une indication particulière sans autorisation de mise sur le marché (AMM), afin d'en faire rapidement bénéficier les malades.

Dans le cadre de la RTU et par précaution, la dose maximale de baclofène avait été abaissée de 300 à 80mg/jour en juillet 2017 en raison d'une étude de l'Assurance maladie selon laquelle le baclofène à fortes doses (plus de 180 mg par jour) fait plus que doubler le risque de décès par rapport aux autres médicaments contre l'alcoolisme, et accroît de 50% le risque d'hospitalisation. Cette décision a été critiquée par plusieurs spécialistes, qui dénoncent un risque de rechute pour les patients et contestent la validité même de l'étude. Une patiente, qui est aussi l'épouse du fondateur de l'association pro-baclofène dans l'alcoolodépendance Baclohelp, a même saisi le Conseil d'Etat. Fin février 2018, le Conseil d'Etat a rejeté sa demande d'annulation en urgence de cette décision de diminution de dose, en attendant de se prononcer sur le fond lors d'une prochaine audience.

Dans le même temps,le laboratoire Ethypharm a déposé une demande d'AMM du baclofène dans l'alcoolodépendance début 2017. Tandis que les patients poussent en faveur de cette AMM, les autorités ont lancé une procédure d'évaluation du rapport bénéfice/risque par un comité d'expert puis par un débat public. Car entre les études Bacloville et Alpadir qui ont respectivement montré en 2016 une efficacité et une égalité avec le placebo dans l'abstinence chez les alcoolodépendants et l'étude de l'Assurance Maladie montrant une toxicité de la prise du baclofène à haute dose, le rapport bénéfice/risque du baclofène reste incertain.

Le rapport bénéfice/risque jugé négatif par le premier groupe d'experts

Ce comité d'experts, appelé comité scientifique spécialisé temporaire (CSST), est constitué "d’experts européens indépendants, compétents en évaluation du rapport bénéfice/risque des médicaments, en méthodologie des essais cliniques et en épidémiologie", explique l'ANSM sur son site. Pas de prescripteur du médicament donc, mais des spécialistes de l'analyse des données de santé. Ce CSST s'est ainsi réuni en février et en avril 2018 pour examiner le rapport bénéfice/risque du baclofène dans l'alcoloo-dépendance au terme de 4 ans de RTU. Leur conclusion : "L'efficacité du baclofène dans la réduction de la consommation d'alcool (...) a été jugée cliniquement insuffisante", estime ce comité. "Ceci, ajouté à un risque potentiellement accru de développer des événements indésirables graves (y compris des décès) en particulier à des doses élevées, conduit à considérer que le rapport bénéfice/risque (du baclofène) est négatif", poursuivent les experts.

Pour en arriver à cette conclusion, ils se sont basés sur les études cliniques telles que Bacloville et Alpadir, les résultats de l'étude de la Cnamts, les données de pharmacovigilance et les données de sécurité récoltées dans le cadre de la RTU. D'après leur analyse, "la composante obsessionnelle/compulsive de l’envie de boire (‘craving’) était le seul résultat qui a montré une amélioration significative avec le baclofène dans les deux études comparativement au placebo", un résultat jugé insuffisant face aux risques par rapport aux traitement existants. "L’utilisation du baclofène est fortement associée à un risque accru, augmentant avec la dose, d’hospitalisation et de décès en comparaison de l’utilisation des traitements des problèmes d’alcool disposant d’une AMM", rapportent en effet les experts.

Patients et professionnels de santé pro-baclofène pointent l'absence de prescripteurs dans le comité

Ces conclusions mécontentent les associations de patients. Ce rapport "aboutit inexplicablement à des conclusions diamétralement opposées" à celles de précédents comités d'experts, qui avaient "constaté l'efficacité et la sécurité du baclofène" pour accorder l'autorisation temporaire de l'utiliser (RTU), estime le collectif Baclohelp. Les partisans du baclofène dénoncent la composition du comité d'experts mandaté par l'ANSM, formé de cinq membres dont aucun n'est addictologue ni psychiatre. "Ça me dérange beaucoup que des gens qui n'ont jamais vu un patient puissent donner un avis", déclare à l'AFP le professeur Philippe Jaury, un des défenseurs de ce médicament. "Ça fait 40 ans que je m'occupe d'alcool, j'ai fait 200.000 consultations. Je n'avais jamais vu autant de bons résultats qu'avec ce médicament, et je les ai tous essayés", ajoute-t-il. Quoi qu'il en soit, "on ne va pas supprimer le baclofène", fait valoir l'addictologue Michel Reynaud. "Il y a environ 100.000 patients qui l'utilisent et il a déjà une AMM pour d'autres indications" que l'alcoolisme, dit-il. Selon lui, tout l'enjeu "est de le réguler pour optimiser son utilisation et diminuer les risques".

PROCHAINE ETAPE. La prochaine étape de cette demande d'AMM sera une réunion, les 3 et 4 juillet, d'une commission temporaire qui auditionnera les sociétés savantes et les associations de patients concernées. L'ANSM souligne donc prudemment que l'avis des experts ne préjuge pas de la décision finale. L'Agence "attend d'avoir l'ensemble des avis - sociétés savantes, associations de patients et experts de la commission -, avant de se prononcer et de prendre sa décision d'AMM", a-t-elle indiqué mercredi à l'AFP. Selon elle, cette décision interviendra "avant la fin de l'année". En février, son directeur général, Dominique Martin, avait affirmé qu'elle statuerait "au plus tard à la rentrée" de septembre 2018.

Avec AFP

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