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Politique

Les propositions de Marine Le Pen et Emmanuel Macron en science, santé et énergie

Quelle place pour la science en France ? Quels défis sont à relever dans les domaines de la santé ou de l’énergie ? S'il n'en fut pas question pendant le débat du 2e tour, Marine Le Pen et Emmanuel Macron avaient répondu à 5 grands scientifiques sollicités par Sciences et Avenir.

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Marine Le Pen (FN) et Emmanuel Macron (En Marche !) lors du débat du deuxième tour de l'élection présidentielle de 2017.

Marine Le Pen et Emmanuel Macron n'ont pas parlé de science pendant le débat de 2e tour de l'élection présidentielle. Ils se rattrapent dans Sciences et Avenir.

© STRINGER / AFP

ELECTION PRÉSIDENTIELLE. Certes, il ne fut pas question de cela pendant le chaotique débat de 2e tour, qui a eu lieu le 3 mai 2017. Mais la candidate du Front National Marine Le Pen et celui de "En Marche !" Emmanuel Macron font partie des 10 candidats à la présidentielles à avoir répondu pour Sciences et Avenir aux questions posées par cinq éminents scientifiques, la physicienne Claudine Hermann, le mathématicien Cédric Villani, l'astrophysicien Hubert Reeves et les médecins Axel Kahn et Jean-Claude Ameisen, en matière d’écologie et d’énergie, de recherche et développement, de cybersécurité et de robotique mais aussi de handicap. A quelques jours de l'élection présidentielle qui verra Marine Le Pen ou Emmanuel Macron accéder à l'Elysée, nous vous proposons de retrouver ci-dessous l'essentiel de leurs interventions. 

Hubert Reeves : Tout se passe dans cette campagne électorale comme si l’environnement n’était pas quelque chose de grave. La COP21 a permis à 195 pays de se mettre d’accord sur le réchauffement climatique. Comment comptez-vous poursuivre cette action ?

Marine Le Pen : Il faut se passer des énergies fossiles, mais se passer du nucléaire en même temps est infaisable voire irresponsable. Il faudra mettre les moyens pour la recherche appliquée sur la filière thorium : ce matériau étant fertile mais non fissile, les centrales au thorium ne peuvent pas s’emballer. Un vecteur de stockage d’énergie, substitut de l’essence, du gazole, du gaz naturel est nécessaire : ce sera probablement l’hydrogène que l’on produit à partir de l’électrolyse de l’eau. L’électricité nécessaire à cette réaction proviendra des énergies renouvelables et des centrales nucléaires peu utilisées la nuit et l’hydrogène pourra ainsi être utilisé dans les transports grâce aux piles à combustible. L’efficacité énergétique est aussi essentielle.

Pour que l’isolation des logements devienne massive et rentable, les ménages, entreprises et administrations doivent bénéficier de taux à long terme, 15 ans par exemple, à 0 %, avec l’aide d’une Banque de France autonome et donc d’une monnaie nationale. Car la Banque centrale européenne ne veut pas favoriser un secteur sur un autre, flécher des prêts vers la transition énergétique. Le bois et le biogaz sont des vecteurs de stockage, mais de plus petite capacité, et seront utilisés principalement pour le chauffage ou pour quelques applications industrielles.

Nous voulons aussi développer des filières françaises puissantes d’énergies renouvelables grâce à une commande publique réservée et l’aide d’un État stratège. Dans ces conditions, on peut être très optimiste sur la transition énergétique ; nous n'aurons peut-être qu'une consommation très marginale d'énergies fossiles dans 30 ans en France. Par des phénomènes de capillarité, d'exemplarité, nous pouvons aussi contribuer de façon importante à la diffusion de la transition énergétique dans le monde.

Emmanuel Macron : C’est un défi de civilisation que nous avons à relever dans les années qui viennent. Créer de la croissance tout en préservant la planète nécessite d’innover en profondeur et de fonder nos choix sur une éthique nouvelle. Dans ce domaine, la France et l’Europe ont une responsabilité immense pour rendre concrets et crédibles dans le prochain quinquennat les engagements historiques de la COP21. Notre capacité à limiter le réchauffement à 2°C se joue sans attendre. Ce défi est d’autant plus central que nous sommes entrés dans un monde de grandes migrations géopolitiques et climatiques. Comment limiter drastiquement et rapidement nos émissions de carbone ?

D’abord, nous devons engager la sortie des énergies fossiles, il faut en finir avec les centrales thermiques et ne plus donner aucune autorisation nouvelle d’exploitation et d’exploration d’hydrocarbures. Pour réduire notre consommation, il faut aussi accélérer la rénovation thermique des bâtiments en simplifiant le recours aux aides publiques et en aidant ceux qui n’ont pas les moyens d’entreprendre des travaux. Dans le même temps, il faut permettre la sortie progressive du diesel en supprimant, en cinq ans, l’écart de taxation entre le gazole et l’essence. Je suis contre l’interdiction brutale car elle touche les ménages les plus modestes, mais il faut les inciter et les aider à changer de comportement.

Concernant le mix électrique, je veux poursuivre la réduction du nucléaire. Cette énergie nous permet de produire l’électricité décarbonée la plus sûre mais personne ne sait aujourd’hui évaluer le coût du démantèlement-retraitement : je veux donc faire de la centrale de Fessenheim un site pilote. En parallèle, le coût du solaire et de l’éolien a beaucoup baissé, ce qui rend ces énergies plus compétitives. Enfin, la France et l’Europe doivent avoir une diplomatie environnementale très forte et construire un partenariat avec les pays dont le comportement sera critique pour le climat, notamment avec l’Inde et la Chine, dont les récents engagements sont réconfortants.

Hubert Reeves : Reviendrez-vous sur l’autorisation de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?

Marine Le Pen : Notre analyse écologique et économique est claire. Le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est un non-sens écologique et économique. Cependant, nous nous devons de respecter le résultat du référendum local pour lequel les habitants consultés ont voté oui.

Emmanuel Macron : Je n’aurais pas lancé le projet de cette manière-là. Mais revenir aujourd’hui sur la consultation populaire, dont les conclusions étaient favorables, serait envoyer le message que plus aucun projet n’est possible en France. Dès les premiers jours de mon quinquennat, je nommerai un médiateur qui aura pour mission de veiller à ce que la situation ne dégénère pas.

Axel Kahn : L’objectif des pays les plus développés est d’atteindre 3 % du produit intérieur brut (PIB) consacrés à la recherche et au développement (R&D). En France, nous sommes un peu au-dessus de 2 %. Quel est votre objectif ?

Marine Le Pen : Il faut évidemment tendre vers un objectif de 3 %. Cela doit passer d’abord par une revalorisation du budget public de la recherche actuellement de 0,8 % du PIB. Je m’engage à tendre vers 1 % du PIB d’ici à 2022 (pour un coût de 4,5 milliards d’euros en 2022). De même, il faut recentrer le crédit d’impôts recherche vers les PME, les start-up et les entreprises industrielles. Elles ne touchent actuellement que 30 % de la créance et servent parfois d’outil d’optimisation fiscale pour les grands groupes et les banques. Il faut par ailleurs diriger 2% de l'encours de l'assurance-vie vers le financement du capital-investissement pour "refaire" notre retard.

Emmanuel Macron : Il ne faut pas abandonner l’objectif de 3 %. Pour la R&D publique, qui souffre à la fois d’un manque de visibilité et de stabilité budgétaire, je mettrai en place une stratégie quinquennale. Toutefois la faiblesse française tient beaucoup plus au secteur privé. Il nous faut développer tout ce qui est intensif en R&D dans le numérique, la biotech, ce qui relève de l’environnement et de la transition énergétique. Je crois beaucoup à la recherche partenariale (public-privé). Surtout, nous devons soutenir le développement d’entreprises de taille intermédiaire, entre PME et grands groupes, qui innovent et qui sont capables de tirer l’ensemble de la recherche. L’Allemagne compte 2,5 fois plus d’entreprises de ce type : c’est un atout formidable que nous n’avons pas encore.

Claudine Hermann : La connexion entre le monde universitaire et le monde de l’entreprise est insuffisante, et un des points préoccupants est le devenir des docteurs [qui ont réalisé une thèse].

Marine Le Pen : Il y a en effet un problème important d'insertion sur le marché du travail des jeunes docteurs. Je pense qu'il faut renforcer les dispositifs CIFRE - Conventions Industrielles de Formation par la REcherche - pour assurer les liens entre les thésards et le secteur privé et impliquer davantage le CNRS pour ceux qui veulent s'impliquer dans la recherche privée. Les doctorants et leurs directeurs de recherches doivent être responsabilisés et informés sur les perspectives et les débouchés. Mais il faut aussi renforcer les actions auprès des recruteurs car il y a une frilosité face aux profils universitaires chez trop de responsables des ressources humaines.

Emmanuel Macron : Je pense que la capacité des entreprises à intégrer des docteurs est l’une des clés de la réussite du nouveau modèle productif. Elles en ont besoin si elles veulent réussir leur mutation dans un monde en transformation, dont l’économie est celle des compétences et de l’innovation. Mais la France est atteinte d’une vieille maladie culturelle : c’est une nation où le sacro-saint modèle demeure celui de l’ingénieur ou du diplômé de grandes écoles. Les conventions CIFRE ont cependant permis de faire entrer des docteurs dans le secteur privé, et il est fondamental que les entreprises aient la capacité à repérer où elles se situent au niveau international, en matière d’excellence académique. Ce qui suppose deux choses. Premièrement, que les grandes entreprises françaises réussissent leur mutation organisationnelle et psychologique. Par chance, nous avons le CAC 40 - que les gens détestent parce que nous avons un problème avec la réussite - qu’il faut exploiter. Les entreprises du CAC 40 doivent modifier leurs stratégies de recrutement et de rémunération. Dans une entreprise française, le docteur qui est embauché en R&D est moins bien payé qu’un ingénieur ou qu’un diplômé d’école de commerce. Il est tous les jours confronté à des plafonds de verre. Alors que les nations qui réussissent dans le domaine sont celles où le docteur connaît une carrière d’excellence y compris managériale. Deuxièmement : il faut pousser les docteurs à entreprendre, à créer des start-up et à participer à des projets entrepreneuriaux. Cela améliorera la recherche partenariale et permettra une fertilisation croisée public-privé.

Axel Kahn : Avec l’intelligence artificielle, la nouvelle génération de robots ne peut-elle pas remettre en question la partition du travail entre la machine et l’humain ?

Marine Le Pen : La robotisation du travail engendre de nombreuses inquiétudes légitimes. Elle pourrait à terme se substituer aux travailleurs non qualifiés. L'OCDE estime que 9% des emplois pourraient être menacés par les robots. Cependant, l'histoire économique nous apprend que l'innovation conduit aussi à une hausse de la productivité du travail et permet l'approfondissement de la division du travail et l'élévation du niveau de vie. Le niveau de robotisation des entreprises industrielles en France est relativement bas : 1,2 robot pour 100 emplois industriels contre 2,4 en Allemagne et 2,7 au Japon. Ceci explique une partie de notre retard en termes de compétitivité. Mais le bouleversement des modes de production chamboule les relations sociales. C'est pour cela qu'il faudra mettre les moyens pour assurer une formation de qualité. La France se distingue malheureusement par son piètre classement dans les enquêtes PIAAC (Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes ) de l'OCDE ('Organisation de Coopération et de Développement Économiques) sur la qualification des travailleurs.

Emmanuel Macron : L’automatisation par les robots, cela a un sens et une existence industrielle. Après, il y a l’intelligence artificielle : il est très compliqué aujourd’hui de la taxer, parce qu’on ne sait pas la définir en termes de création de valeur. Mais il faut arrêter d’avoir un système qui bloque le changement ou l’accompagne avec un temps de retard. Nous devons acter la transformation radicale de notre environnement productif. Le risque chômage est devenu un risque social, ce n’est plus un risque contre lequel vous vous assurez à titre individuel. Donc je sors du système bismarckien d’assurance-chômage fondé sur le salariat pour rentrer dans un monde beveridgien [de l’économiste britannique William Beveridge] comme on l’a fait pour l’assurance-maladie. Parce qu’il y a une vraie injustice : si vous êtes entrepreneur, commerçant, artisan, vous pouvez vous faire complètement « disrupter » par le système et vous n’êtes pas couvert. Il ne faut pas chercher à protéger des emplois, il faut protéger des gens, ce qui est très différent. L’État ne doit pas véhiculer un discours défaitiste sur la révolution numérique qui nous mènerait vers l’oisiveté subie ou choisie, la fin du travail…

Jean-Claude Ameisen : La France souffre d’un déficit profond de l’accompagnement des enfants et adultes handicapés, et des personnes âgées. L’automatisation et la numérisation pourraient-elles offrir davantage de services pour soutenir les aidants, souvent des personnes à statut précaire ?

Marine Le Pen : Bien entendu, notre système de protection sociale est confronté à deux défis majeurs qui sont le vieillissement de la population, l'explosion des pathologies chroniques et la révolution technologique. Il nous incombe de prendre le tournant de l'innovation technologique en toute sérénité, pour en tirer profit et permettre aux Français d'être mieux pris en charge. On le sait, nous devons beaucoup aux aidants familiaux qui assistent les personnes dépendantes ; c'est pourquoi il nous faut trouver des moyens de leur faciliter la tâche et de reconnaitre leurs efforts. Les outils numériques peuvent y participer, par exemple grâce au développement de dispositifs de téléassistance.

Emmanuel Macron : Les aidants sont entre 8 et 10 millions en France, ce qui est absolument immense ! Ce sont des femmes et des hommes qui s’occupent de leur enfant autiste ou handicapé, de leur proche dépendant ou victime d’un accident grave. Progressivement, ils sont contraints de réduire leur vie sociale et professionnelle à peau de chagrin pour s’occuper de leurs proches. Beaucoup n’ont pas d’autre choix que de faire hospitaliser leur proche un ou deux jours pour pouvoir se ressourcer. Et 20 % d’entre eux meurent même avant l’aidé ! Je souhaite donc développer massivement des « maisons de répit » pour les aidants, aussi importantes que les établissements de soins de suite et de réadaptation sur le plan médical, pour désengorger l’hôpital. Surtout, il y a là un secteur économique caché qu’il va falloir progressivement soutenir et financer, mais une taxe sur les robots ne me semble pas la bonne réponse. Je suis optimiste car la France est une société d’engagement, où les associations font preuve d’une très grande vitalité : le numérique va permettre de libérer du temps humain utile et permettre à ceux qui en sont victimes de sortir d’un travail taylorisé, répétitif et peu valorisant. Mais il ne faut pas envisager cet engagement comme un à-côté du travail : il faut, au contraire, créer des emplois qualifiés avec un vrai statut. Voilà pourquoi je me bats très fortement pour le travail universel et non pour le revenu universel. C’est un vecteur de développement et d’épanouissement pour chacun.

Cédric Villani : Au conseil scientifique de la Commission européenne, nous travaillons sur la cybersécurité. Un sujet qui ne peut pas être abordé seulement de manière scientifique parce que s’y mêlent les questions politiques, économiques, de souveraineté de l’Europe…

Marine Le Pen : La cybersécurité est en effet un sujet délicat. On parle souvent des pirates russes mais il ne faut pas oublier les écoutes de la CIA et le fait que le Royaume Uni et d'autres pays avaient autorisé la CIA à installer des bases. Je pense donc que les intérêts de la France ne peuvent être protégés que par la France et je refuse fermement toute ingérence de l'Union européenne dans ce domaine. La notion même de " souveraineté de l'Europe " n'a aucun sens puisqu'il n'existe pas de peuple européen susceptible d'être souverain. Je mettrai donc en place un programme français sur la cybersécurité, en coopérant bien sûr avec les pays alliés de la France, mais en assurant avant tout une protection réelle et aussi sûre que possible des données des administrations, des entreprises et des particuliers français.

Emmanuel Macron : La cybersécurité est une vraie priorité sur laquelle nous sommes plutôt en retard. Les pays les plus en pointe sont les Etats-Unis et Israël, qui a un rapport existentiel avec ce genre de question et a accompli un travail absolument remarquable en construisant quasiment une cité de la cybersécurité [à Beersheba]. C’est un sujet essentiel parce que notre souveraineté numérique et notre capacité à nous protéger, aussi bien sur le plan militaire que civil (universités, ministères…), en dépendent. Il nous faut une stratégie sur le plan européen, au moins franco-allemande, qui requiert un rapprochement de nos univers de recherche, de nos intérêts militaires, de nos experts. Quand je m’engage sur 2 % de PIB pour la défense, j’inclus la cybersécurité.

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