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Transports

Accident mortel de Uber : faut-il avoir peur de la voiture autonome ?

Entretien avec Serge Piperno directeur scientifique, de l'IFSTTAR à propos de la voiture autonome et des risques qu'elles peuvent représenter. 

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Un prototype de Range Rover autonome présenté à Milton Keynes (Angleterre) le 22 mars 2018

Un prototype de Range Rover autonome présenté à Milton Keynes (Angleterre) le 22 mars 2018

©Frank Augstein/AP/SIPA

TRAGIQUE. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'un tel évènement ne se produise. Il est survenu dimanche 18 mars 2018, à Tempe, dans l'Arizona. Ce dimanche-là, vers 20h, une cycliste traverse une voie mal éclairée en poussant son vélo. Lancé à plus de 60 km/h, un gros SUV Volvo XC90 qui circulait en mode autonome la percute alors de plein fouet. La victime, Elaine Herzberg, décèdera de ses blessures à l'hôpital. Ni le véhicule, ni la personne assise sur le siège du conducteur et censée reprendre la main sur les commandes en cas d'urgence n'ont réagi à temps.

Ce tragique accident marquera les esprit car c'est la première fois qu'un piéton est renversé par une voiture "intelligente". Pourtant, ce n'est pas la première fois que des véhicules autonomes sont impliqués dans des accidents mortels. On se souvient de celui survenu en mai 2016 aux États-Unis avec une Tesla qui circulait en mode "conduite autonome" sur une route en ligne droite. Les capteurs du véhicule n'ont pas détecté un camion blanc qui venait de s'engager sur la voie de circulation. La Tesla modèle S était alors venue s'encastrer à pleine vitesse dans la remorque du véhicule.

D'autres évènements de ce type ont eu lieu par la suite. En témoigne cette vidéo en caméra embarquée d'un accident survenu la même année avec une Tesla en Chine. Le véhicule n'avait alors pas repéré un camion arrêté sur la voie de gauche et l'a percuté de plein fouet. L'accident a été fatal au conducteur de 23 ans qui, au moment de l'impact, avait laissé la voiture conduire toute seule. 

Faut-il donc se méfier des véhicules autonomes ? Ces véhicules sont-ils plus ou moins sûrs que ceux pilotés par des humains ? "Il est difficile de répondre à cette question" commente Serge Piperno directeur scientifique de l'IFSTTAR (l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux est un établissement public, NDLR). "Les voitures autonomes actuelles sont testées sur des millions de km pratiquement sans accident" poursuit-il. Pratiquement car outre les accidents mortels précédemment cités, au cours desquels la voiture semble ne pas avoir détecté des obstacles, on note plusieurs occurrences de chocs légers avec pour conséquence de la tôle froissée. Ainsi, Google avait publié en 2015 la liste d'une dizaine d'accidents légers survenus avec ses Google car sur le terrain.

Un apprentissage qui implique une prise de risque

On pourrait donc considérer que les véhicules autonomes, qui présentent un nombre de tués très faible au vu du nombre de kilomètres parcouru, sont bien plus sûrs que les véhicules pilotés par des humains. "Sauf que ces chiffres en eux-même ne veulent pas dire grand chose" analyse Serge Piperno. "J'ai envie de rapprocher ces tests de la conduite accompagnée des jeunes, poursuit-il. Si vous emmenez l'apprenti conducteur sur des autoroutes où il ne se passe rien, et où il n'aura rien d'autre à faire que de rester dans sa file en ligne droite, il n'aura au final pas appris à conduire".

Car c'est effectivement au milieu des villes que le conducteur est le plus confronté au véhicule qui refuse une priorité, à la portière qui s'ouvre, au piéton qui traverse sans prévenir ou au vélo qui change de file brutalement. Bref, à l'imprévisible. Et c'est là toute la difficulté des véhicules autonomes. Pour apprendre à réagir correctement en présence d'un obstacle, ils doivent s'y confronter et donc évoluer en milieu urbain, c'est à dire dans un milieu plus accidentogène. Techniquement, cela n'est pas un obstacle insurmontable tant qu'un humain se trouve assis sur le siège conducteur pour pallier les éventuelles erreurs de la machine (bien que cela ne suffise pas à éviter un accident mortel, comme le drame de Tempe vient de nous le montrer).

Mais est-on prêts à lâcher dans nos villes des véhicules auto-pilotés dans lesquels l'humain n'aurait plus accès du tout aux commandes ? "Cette question nous amène au coeur d'une problématique clé des véhicules autonomes : l'acceptabilité de cette technologie" reprend Serge Piperno. "Un accident comme celui qui vient de se produire à Tempe, il s'en produit des milliers chaque année aux États-Unis entre des voitures conduites par des humains et des piétons." En France, les derniers chiffres de l'association prévention routière font état de 499 piétons tués par des véhicules en 2015. "Ce sont des chiffres énormes et pourtant, la société réagit de manière fataliste. On tolère qu'un humain puisse se tromper, mais on accepte pas la même chose d'un logiciel de conduite."

Une problématique liée à l'acceptabilité

Cet accident influera-t-il sur l'avenir de la voiture autonome ? "Fondamentalement, il ne devrait pas faire évoluer le sens de l'histoire" pronostique le directeur scientifique de l'IFSTTAR, pour qui les voitures autonomes sont amenées à être de plus en plus nombreuses. "Mais cela peut retarder leur déploiement. Si on n'accepte pas l'idée que des véhicules autonomes ne soient pas totalement infaillibles, il faudra renforcer considérablement les dispositifs de contrôle qui les équipent et on risque au final d'accoucher de véhicules 'peureux' qui pileront tout le temps et qui seront au final très pénibles à utiliser".

C'est pourquoi le scénario le plus probable est celui d'une transition douce qui va garder l'humain le plus longtemps possible dans la boucle, en déléguant petit à petit les actions de conduite au véhicule. Un mouvement déjà amorcé avec les régulateurs adaptatifs de vitesse, les systèmes de freinage automatique, l'allumage automatique des phares ou des essuie-glace etc. "Mais on peut imaginer des ruptures technologiques plus importantes avec des véhicules totalement autonomes, dans des environnements très contrôlés (tels que des voies dédiée reliant des agglomérations) où les éléments imprévisibles sont réduits à la portion congrue" imagine Serge Piperno. 

Reste que l'avènement de la voiture autonome, même si elle parvient à un niveau de fiabilité supérieur à celui de l'humain, amènera de nouveaux risques. Outre celui du "bug" ou du piratage entraînant la voiture dans le décor, "la généralisation de véhicules facilement identifiables comme autonomes et très sûrs pourra faire émerger de nouveaux comportements. On peut imaginer que d'autres automobilistes, sachant que la voiture autonome fera tout pour éviter une collision, pourront ne pas hésiter à lui griller la priorité au mépris des règles de circulation routière. Quant aux piétons, il n'est pas exclu que certains s'amusent à se mettre volontairement devant juste pour s'amuser à la voir piler." Un comportement qu'ils n'auraient jamais eu avec un véhicule piloté par un humain aux réactions moins prévisibles...

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