Même si un tableau est sobre, l'attitude d'un modèle sur un portrait peut dire beaucoup. L'homme au chaperon bleu de Van Eyck, par exemple, le regard dans le vide, les commissures des lèvres vers le bas, semble tourmenté, traversé par des émotions négatives. Au contraire, par exemple, des portraits de Maurice-Quentin de La Tour, avec son sourire franc, ses yeux rieurs et son menton relevé. Pour essayer de "faire parler" les peintures, un groupe de recherche français issus du CNRS, de l’ENS-PSL, de l’Inserm et de Sciences Po a tenté d'analyser le degré de confiance exprimé dans les portraits.
La confiance sociale, "un indicateur lié à la croissance économique"
"En se faisant tirer le portrait, les grands de ce monde ont selon les époques voulu manifester leur pouvoir et inspirer la crainte, ou au contraire se donner un air sympathique et digne de confiance. À travers leurs sources, les historiens avaient déjà perçu un glissement vers plus de confiance envers autrui au fil du temps. Cependant, ces changements restaient difficiles à documenter quantitativement", explique le CNRS. Leurs travaux montrent une très nette amélioration de la confiance sociale à travers les siècles. Ils sont publiés dans la revue Nature Communications.
La confiance sociale se caractérise par une confiance généralisée dans les autres. "Elle se mesure en demandant 'peut-on faire confiance aux autres ou n'est-on jamais trop prudent ?'. Elle ne concerne donc pas la confiance que l'on peut avoir en ses amis, sa famille ou en l'avenir par exemple", explique Lou Safra, enseignante-chercheuse au Cevipof à Sciences Po. "C'est une mesure utilisée par beaucoup d'institutions comme l'OCDE ou la Banque mondiale, comme un indicateur lié à la croissance économique." Une forte confiance sociale irait de pair avec la croissance économique. Mais difficile de savoir si c'est la confiance qui entraîne la croissance ou l'inverse.
UNE APPROCHE CRITIQUÉE
La physiognomie se fonde sur l'idée que l'observation de l'apparence physique d'une personne, plus particulièrement les traits de son visage, pourraient être des indicateurs de son caractère ou de sa personnalité. Cette méthode a connu un essor au XIXe siècle dans le domaine de la criminologie. Elle est depuis très critiquée par le corps médical et le monde scientifique pour son absence de méthodologie. Il existe en outre de nombreux facteurs ayant un impact sur l'aspect physique d'une personne : la génétique, d'abord, mais aussi la culture ou l'éducation pour n'en citer que quelques uns. Dans cette étude, des corrélations sont établies entre le degré de confiance qu'expriment des portraits en peinture et le niveau de richesse. La corrélation indique que ces deux faits n'ont qu'un rapport statistique. Cela n'induit en aucun cas un rapport de causalité. Une personne peut sembler avoir l'air fermé sans pour autant avoir le moral à zéro et inversement. Un grand sourire ne signifie pas toujours un que la personne possède un haut degré d'assurance.
Même si un tableau est sobre, l'attitude d'un modèle sur un portrait peut dire beaucoup. L'homme au chaperon bleu de Van Eyck, par exemple, le regard dans le vide, les commissures des lèvres vers le bas, semble tourmenté, traversé par des émotions négatives. Au contraire, par exemple, des portraits de Maurice-Quentin de La Tour, avec son sourire franc, ses yeux rieurs et son menton relevé. Pour essayer de "faire parler" les peintures, un groupe de recherche français issus du CNRS, de l’ENS-PSL, de l’Inserm et de Sciences Po a tenté d'analyser le degré de confiance exprimé dans les portraits.
Une approche critiquée
La physiognomonie se fonde sur l'idée que l'observation de l'apparence physique d'une personne, plus particulièrement les traits de son visage, pourraient être des indicateurs de son caractère ou de sa personnalité. Cette méthode a connu un essor au XIXe siècle dans le domaine de la criminologie. Elle est depuis très critiquée par le corps médical et le monde scientifique pour son absence de méthodologie. Il existe en outre de nombreux facteurs ayant un impact sur l'aspect physique d'une personne : la génétique, d'abord, mais aussi la culture ou l'éducation pour n'en citer que quelques uns.
Dans cette étude, des corrélations sont établies entre le degré de confiance qu'expriment des portraits en peinture et le niveau de richesse. La corrélation indique que ces deux faits n'ont qu'un rapport statistique. Cela n'induit en aucun cas un rapport de causalité. Une personne peut sembler avoir l'air fermé sans pour autant avoir le moral à zéro et inversement. Un grand sourire ne signifie pas toujours un que la personne possède un haut degré d'assurance.
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La confiance sociale, "un indicateur lié à la croissance économique" ?
"En se faisant tirer le portrait, les grands de ce monde ont selon les époques voulu manifester leur pouvoir et inspirer la crainte, ou au contraire se donner un air sympathique et digne de confiance. À travers leurs sources, les historiens avaient déjà perçu un glissement vers plus de confiance envers autrui au fil du temps. Cependant, ces changements restaient difficiles à documenter quantitativement", explique le CNRS. Leurs travaux cherchent à établir le niveau de confiance sociale à travers les siècles. Ils sont publiés dans la revue Nature Communications.
La confiance sociale se caractérise par une confiance généralisée dans les autres. "Elle se mesure en demandant 'peut-on faire confiance aux autres ou n'est-on jamais trop prudent ?'. Elle ne concerne donc pas la confiance que l'on peut avoir en ses amis, sa famille ou en l'avenir par exemple", explique Lou Safra, enseignante-chercheuse au Cevipof à Sciences Po. "C'est une mesure utilisée par beaucoup d'institutions comme l'OCDE ou la Banque mondiale, comme un indicateur lié à la croissance économique." Une forte confiance sociale irait de pair avec la croissance économique. Mais difficile de savoir si c'est la confiance qui entraîne la croissance ou l'inverse.
Grand sourire ou triste mine ?
Pour essayer d'étudier comment la confiance sociale a évolué par le passé, l'équipe s'est concentrée sur des objets culturels, à savoir, les portraits en peinture. "Quand on voit une nouvelle personne pour la première fois, on se demande si elle a l’air digne de confiance. C'est de même pour un portrait : la personne a l’air sympathique ou pas ? Il faut savoir que les portraits avaient la fonction de se représenter et nous montrent donc comment les gens voulaient qu'on les voit", explique Lou Safra. Ainsi, certains ont l'air bien sympathiques tandis que d'autres suscitent plutôt la crainte. "Pour émettre un jugement sur l’apparence de quelqu’un, chacun utilise des indicateurs qui lui sont propres ainsi que des indicateurs partagés, comme le sourire. Mais ce jugement n’a aucune validité." La chercheuse rappelle que si les portraits du Moyen-Age semblent faire triste mine ou ont l'air méchant, cela ne tient qu'à des choix individuels. "Ils auraient pu sourire s'ils le voulaient. Le fait qu'ils décident de ne pas le faire renseigne sur la mentalité et les traits de personnalité qu'ils voulaient mettre en avant sur le portrait."
Deux exemples totalement opposés : un portrait avec un niveau de confiance sociale dégradé en haut (il s'agit de Thomas Cranmer par Gerlach Flicke, peint en 1545-1546) et en dessous, un portrait avec un niveau de confiance très élevé (une peinture de Sir Matthew Wood par Arthur William Devis, en 1815-1816). Les points de couleur correspondent aux traits repérés par l'algorithme pour définir le degré de confiance du sujet peint. Crédit photo : Nature Communications.
Pour analyser les peintures, l'équipe s'est dotée d'un algorithme créé à partir d'une base de données d'avatars, dont chacun s'est vu attribuer un niveau de confiance perçu. Certains plus, d'autres moins. L'algorithme a ensuite été entraîné à reconnaître des visages exprimant plus ou moins de confiance. Pour valider l'intelligence artificielle, l'équipe a d'abord fait évaluer le programme par des centaines de participants. Concrètement, ces derniers étaient chargés de juger les évaluations faites par l'avatar et voir si les résultats coïncidaient. Pour compléter, l'équipe a cherché à reproduire des effets classiques de la cognition sociale dans l'algorithme. "On a donc intégré des paramètres conférant un degré de confiance plus important aux femmes qu'aux hommes, aux jeunes qu'aux personnes plus vieilles ainsi qu'aux personnes qui sourient plutôt qu'aux personnes en colère."
Cette méthode, appelée la physiognomonie, est critiquée par le monde scientifique pour son manque de méthodologie. Elle consiste à déduire le caractère d'un individu en se basant uniquement sur son apparence et plus particulièrement sur les traits de son visage. La physiognomonie est aussi pointée pour s'appuyer sur des éléments subjectifs. Dans le cas de cette étude : les jeunes auraient un degré de confiance sociale plus élevé que les personnes âgées, les femmes plus que les hommes, les personnes qui sourient plus que les personnes qui ne sourient pas. Les critiques de la physiognomonie rappellent que de nombreux éléments ont un impact sur l'aspect physique, comme la génétique ou la culture.
L'équipe de recherche précise de son côté que le programme ne prenait pas en compte des indices secondaires qui pourraient l'induire en erreur, comme la façon dont la personne est habillée, une éventuelle barbe, des éléments stylistiques, ou même si la peinture est récente ou ancienne. "En France par exemple, on a l'image d'un Moyen-Age très noir, ce qui n'est pas forcément vrai. On va lui attribuer des traits plus sombres, tandis que d'autres siècles, comme le siècle des Lumières a une toute autre image. L'algorithme a permis des évaluation totalement neutres."
Une corrélation entre confiance sociale et richesse économique
Les 1962 peintures de la National Portrait Gallery de Londres, des peintures disponibles au format numérique en très haute qualité, ont ensuite été analysées par l'intelligence artificielle. De même que 4106 portraits de la Web Gallery of Art, couvrant 19 pays d'Europe occidentale entre 1360 et 1918. Plus les tableaux sont récents et plus le niveau de confiance sociale des personnes sur les portraits serait élevé. "Cette étude nous a permis de confirmer le lien entre niveau de ressources et confiance sociale au niveau historique. Nous avons pu regarder les différentes dynamiques temporelles et il semblerait que la richesse varie avant le niveau de confiance. Il convient toutefois de prendre des pincettes puisque ce n'est qu'un seul indicateur pris en compte. Pour ce qui est de savoir si c’est la confiance qui influencerait la richesse ou l’inverse, notre étude ne permet donc pas de trancher", comment Lou Safra.
L'évolution de la courbe de confiance sociale (en rouge) et la courbe du PIB (en bleu). Crédit photo : Nature Communications.
Les résultats obtenus par l'équipe suggèreraient qu'à partir du milieu du 17e siècle, la courbe de confiance sociale suit la courbe du PIB du Royaume-Uni. La confiance sociale stagne et régresse légèrement avant de repartir à la hausse au milieu du 18e siècle. Cependant, l'équipe n'est pas en mesure de fournir des explications pour ces deux évolutions remarquables sur la courbe. "Cela montre que l'augmentation n'est pas linéaire et que l'algorithme n'a pas classé les tableaux simplement selon leur date de peinture. Nous ne nous sommes pas focalisés sur des périodes en particulier mais voulions observer les grandes tendances liées à la démocratisation et à la richesse." L'autre conclusion de l'étude porte sur les objets culturels, qui semblent donc être de bons moyens pour comprendre l'évolution des mentalités et mieux connaître les dynamiques historiques des sociétés.
Cette évolution constatée à travers les siècles reflète-t-elle pour autant le passage de sociétés relativement violentes à des sociétés plus coopératives ? Pour répondre à cette question, l'algorithme a ensuite été appliqué à la Selfiecity, une base de données regroupant 2277 autoportraits photographiques postés sur les réseaux sociaux de six villes à travers le monde. "La confiance inspirée par les visages était effectivement corrélée à la confiance et à la coopération interpersonnelles préalablement mesurées au travers d’enquêtes internationales dans ces villes", explique le CNRS. Dans les villes où le taux de confiance est élevé, les personnes avaient l'air plus confiantes sur leurs selfies et vice versa. De là à conclure que depuis des siècles, nos portraits reflètent l'air du temps, qu'ils soient durs ou plus faciles... Ces résultats restent le fruit d'une corrélation et n'ont pas de lien de causalité avéré.