Cet article est issu du magazine Sciences et Avenir n°880 daté juin 2020, "Covid-19 : ce dont on est sûr et ce qu'il nous reste à découvrir".
Tête cyclopéenne en basalte ou encore baby faces - figurines d’adultes aux allures d’enfants potelés -, ces créations de la civilisation olmèque sont reconnaissables entre toutes. Elles captivent les spécialistes qui cherchent à en comprendre la signification depuis des décennies. Référence mondiale sur cette société qui régna sur le golfe du Mexique du 13e au 15e siècle avant notre ère, l’Américaine Ann Cyphers leur a consacré sa vie. Couronnée en décembre 2019 par le prestigieux prix de la recherche du 4e Forum d’archéologie de Shanghai (Chine), l’archéologue de l’Université nationale autonome de Mexico (Unam), s’apprête à publier la somme de ses découvertes. Des travaux qui ont renouvelé l’approche de cette société, considérée comme la "mère" de toutes les civilisations mésoaméricaines, et dont les héritiers furent les Mayas et les Aztèques. Régnant sur les épaisses forêts de la côte sud du golfe du Mexique, les Olmèques ont étendu leur territoire jusqu’au nord-ouest du Costa Rica et atteint un très haut niveau de développement. Le nom qu’ils se donnaient ne nous étant pas parvenu, ils ont été surnommés Olmeca, le "peuple du pays du caoutchouc" en langue nahuatl, une appellation confortée par la découverte, au 20e siècle, de balles en caoutchouc dans les sites où ils avaient vécu. Preuve que ce peuple utilisait depuis longtemps la sève collante et laiteuse de l’arbre Castilla elastica.
Phéniciens, Africains voire extraterrestres…
Mais les Olmèques sont surtout connus pour avoir façonné des têtes gigantesques à partir de monolithes de plusieurs tonnes, lesquelles "ne sont ni d’origine extraterrestre, ni africaine !", s’empresse de préciser Ann Cyphers. Car depuis leur exhumation, un mythe tenace entoure ces étranges visages, né des commentaires d’un antiquaire mexicain, José Maria Melgar y Serrano, qui avait pu observer le premier mis au jour en 1862 par un paysan à Veracruz. "Il lui avait trouvé un petit air 'éthiopique'", explique l’archéologue qui rappelle qu’aucun scientifique à l’époque n’envisageait l’existence de sociétés avancées en Amérique. Depuis les campagnes de Bonaparte en Égypte et la découverte de Ninive en Irak, toute l’attention était en effet tournée vers le Moyen-Orient. "La présence de Phéniciens ou encore d’Africains en Amérique était alors une théorie en vogue", poursuit Ann Cyphers. "C’était une façon de dénier aux populations américaines l’aptitude à être à l’origine de puissantes civilisations, précise Caterina Magni, spécialiste des Olmèques. Or aucune relation n’a jamais été établie entre le continent africain et la Mésoamérique." Ce que la génétique a récemment confirmé, ajoute l’anthropologue Enrique Villamar Bercerit, de l’Unam : "Une étude pionnière d’ADN mitochondrial prélevé sur des restes humains a conclu à l’origine américaine incontestable des Olmèques. Ce peuple partageait le plus fréquent des cinq groupes mitochondriaux caractéristiques des populations indigènes du continent. "
Cet article est issu du magazine Sciences et Avenir n°880 daté juin 2020, "Covid-19 : ce dont on est sûr et ce qu'il nous reste à découvrir".
Tête cyclopéenne en basalte ou encore baby faces - figurines d’adultes aux allures d’enfants potelés -, ces créations de la civilisation olmèque sont reconnaissables entre toutes. Elles captivent les spécialistes qui cherchent à en comprendre la signification depuis des décennies. Référence mondiale sur cette société qui régna sur le golfe du Mexique du 13e au 15e siècle avant notre ère, l’Américaine Ann Cyphers leur a consacré sa vie. Couronnée en décembre 2019 par le prestigieux prix de la recherche du 4e Forum d’archéologie de Shanghai (Chine), l’archéologue de l’Université nationale autonome de Mexico (Unam), s’apprête à publier la somme de ses découvertes. Des travaux qui ont renouvelé l’approche de cette société, considérée comme la "mère" de toutes les civilisations mésoaméricaines, et dont les héritiers furent les Mayas autant que les Aztèques. Régnant sur les épaisses forêts de la côte sud du golfe du Mexique, les Olmèques ont étendu leur territoire jusqu’au nord-ouest du Costa Rica et atteint un très haut niveau de développement. Le nom qu’ils se donnaient ne nous étant pas parvenu, ils ont été surnommés Olmeca, le "peuple du pays du caoutchouc" en langue nahuatl, une appellation confortée par la découverte, au 20e siècle, de balles en caoutchouc dans les sites où ils avaient vécu. Preuve que ce peuple utilisait depuis longtemps la sève collante et laiteuse de l’arbre Castilla elastica.
Phéniciens, Africains voire extraterrestres…
Mais les Olmèques sont surtout connus pour avoir façonné des têtes gigantesques à partir de monolithes de plusieurs tonnes, lesquelles "ne sont ni d’origine extraterrestre, ni africaine !", s’empresse de préciser Ann Cyphers. Car depuis leur exhumation, un mythe tenace entoure ces étranges visages, né des commentaires d’un antiquaire mexicain, José Maria Melgar y Serrano, qui avait pu observer le premier mis au jour en 1862 par un paysan à Veracruz. "Il lui avait trouvé un petit air 'éthiopique'", explique l’archéologue qui rappelle qu’aucun scientifique à l’époque n’envisageait l’existence de sociétés avancées en Amérique. Depuis les campagnes de Bonaparte en Égypte et la découverte de Ninive en Irak, toute l’attention était en effet tournée vers le Moyen-Orient. "La présence de Phéniciens ou encore d’Africains en Amérique était alors une théorie en vogue", poursuit Ann Cyphers. "C’était une façon de dénier aux populations américaines l’aptitude à être à l’origine de puissantes civilisations, précise Caterina Magni, spécialiste des Olmèques. Or aucune relation n’a jamais été établie dans les temps anciens entre le continent africain et la Mésoamérique." Ce que la génétique a récemment confirmé, ajoute l’anthropologue Enrique Villamar Bercerit, de l’Unam : "Une étude pionnière d’ADN mitochondrial prélevé sur des restes humains a conclu à l’origine américaine incontestable des Olmèques. Ce peuple partageait le plus fréquent des cinq groupes mitochondriaux caractéristiques des populations indigènes du continent. "
L'archéologue américaine Ann Cyphers lors de la mise au jour de la dixième des 17 têtes colossales Olmèques découvertes à ce jour. Crédits: The San Lorenzo Tenochtitlan Project
"Les têtes cyclopéennes sont des portraits de dirigeants, tous différents les uns des autres", reprend Ann Cyphers. Alors qu’elle dirigeait les fouilles de San Lorenzo-Tenochtitlan, site considéré comme le berceau de la culture olmèque, l’archéologue américaine a elle-même exhumé la 10e des 17 têtes découvertes à ce jour (lire l’encadré ci-dessus). Sur place, des trônes taillés dans la roche ont également été retrouvés, l’ensemble composant une sorte d’allée royale disposée en deux lignes orientées nord-sud. "Quand j’ai commencé mes travaux dans les années 1970, San Lorenzo était considérée comme une ville de 50 hectares, où vivaient moins de 5000 personnes. Or, il apparaît aujourd’hui qu’elle couvrait 800 hectares occupés par 11000 habitants", explique l’archéologue qui a décrypté l’organisation du site : "San Lorenzo était le lieu de résidence de l’élite, alors que le reste de la population vivait dans de petits hameaux agricoles en périphérie." Elle en a également retracé la chronologie : vers 1500-1200 avant J.-C., un village primitif a pris place sur le plateau de San Lorenzo, puis s’est notablement développé vers 1350-1250 avant J.-C. Une plate-forme de 1200 m de long pour 600 m de large a alors été aménagée sur un promontoire naturel. Et c’est vers 1250-1150 avant J.-C., au cours de la période dite Chicchara, que sont apparues les premières têtes monumentales. San Lorenzo atteint son apogée vers 1150-900 avant J.-C. avant de commencer à perdre de son influence vers 700 avant J.-C.
Ces visages sculptés dans la pierre dure, seraient des portraits géants de dignitaires. Découverts à San Lorenzo-Tenochtitlan, au Mexique, ils étaient probablement peints à l'origine. Crédits: Brizio Martinez
Le mystère des grosses têtes
Sur les 17 "têtes colossales" olmèques recensées à ce jour au Mexique, dix ont été découvertes à San Lorenzo, quatre sur le site de La Venta, deux à Tres Zapotes et une à La Cobata. De possibles fragments ont aussi été trouvés à Tlacozotitlan, dans l’État du Guerrero, ainsi qu’au Guatemala, dans la région de Suchitepequez. La taille de ces sculptures monumentales varie entre 1,45 mètre et 3,40 mètres pour un poids allant de 8 tonnes à 50 tonnes ! Des traces de stuc et de peinture rouge ont été relevées sur l’une d’elles, laissant penser que la plupart étaient peintes. Elles ont été sculptées dans des pierres dures (basalte et andésite), dont l’extraction et le transport se faisaient par voie terrestre ou fluviale à partir de gisements situés sur la côte du golfe du Mexique.
Mais comment expliquer que ces dignitaires soient représentés avec l’arrière du crâne aplati, les yeux en amandes et le nez épaté ? "En raison des déformations anatomiques auxquelles ils étaient soumis, explique Ann Cyphers. Cette modification cranio-faciale était réalisée dès la naissance, quand les os sont encore malléables. Cela signait l’appartenance au groupe." Une explication qui n’exclut pas une recherche esthétique. "Ces têtes expriment un style comme il a pu en exister ailleurs dans le monde, en Égypte par exemple avec le pharaon Akhenaton qui encouragea l’art d’Amarna fondé lui aussi sur des déformations", ajoute l’archéologue.
Les "baby faces", des figurines représentant des adultes aux allures de poupons, font aussi partie des créations emblématiques de la culture Olmèque. Crédits: AKG Images
L’héritage olmèque s’est diffusé dans toutes les cultures mésoaméricaines postérieures. Des déformations identiques ont ainsi été retrouvées chez l’élite maya. Mais les Olmèques ont légué bien plus encore. Ils sont en effet les premiers dans toute la Mésoamérique à avoir établi des calendriers ou encore une architecture sacrée en lien avec son environnement : l’archéologue américain Robert Heizer (1915-1979) a ainsi suggéré que la Grande Pyramide de La Venta, le plus grand centre cérémoniel olmèque, imitait un volcan des montagnes de Tuxtlas, visibles depuis le site.
La plus ancienne écriture d’Amérique
Les Olmèques sont aussi à l’origine des habitations en terrasses, de l’aménagement de plates-formes, du transport de l’eau grâce à des systèmes de drainage, du commerce régional par voie fluviale tandis que de larges chaussées assuraient les échanges à longue distance. Ils ont également inventé la plus ancienne écriture d’Amérique, avec des pictogrammes et des glyphes attestés sur des stèles ainsi que sur certaines têtes colossales. Enfin, ils sont au commencement de la plus spectaculaire des pratiques rituelles mésoaméricaines : les sacrifices humains que reprendront toutes les cultures postérieures.
Premiers adeptes des sacrifices humains
C’est à San Lorenzo et El Manatí, deux des plus importants sites olmèques au Mexique, qu’ont été retrouvées les premières preuves de sacrifices humains en Mésoamérique, datées de 1200 à 1000 avant J.-C. Les restes de six hommes adultes y ont été mis au jour. Ils avaient été décapités et démembrés avant d’être enterrés dans le cadre d’un rituel de consécration. Le squelette d’un autre homme adulte, lui aussi décapité et découpé, a été retrouvé sous un bâtiment d’apparat. Les enfants n’étaient pas épargnés comme en témoignent des corps, démembrés à l’occasion de rituels dans un sanctuaire sacré des montagnes, exhumés à El Manatí. Les Mayas et plus tard les Aztèques pratiqueront eux aussi ces sacrifices en nombre, perpétuant le lointain héritage des Olmèques.