Pour limiter les coûts de développement et gagner en compétitivité, l’Agence spatiale européenne (ESA) et le Cnes ont doté Ariane 6 et Vega C d’un moteur à propergol solide commun, le P120C. Avec 142 tonnes de propergol, ce nouveau moteur est le plus gros propulseur à poudre monolithique en fibre de carbone au monde. Il vient d'être testé avec succès sur les installations du Centre spatial guyanais de Kourou.


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    Le P120C a été testé avec succès le 16 juillet à Kourou, en Guyane, à l'intérieur du Bâtiment d'essai des propulseurs à poudre (BEAP) exploité par le Centre national d'études spatiales (Cnes). Cette installation a été mise en place en 1991 et conçue pour tester et qualifier les EAPEAP d'Ariane 5Ariane 5. Elle a aussi servi pour les essais de développement ARTA d'amélioration des EAP et de qualification du moteur P80 de VegaVega.


    Essai du P120C à l'intérieur du Bâtiment d’essai des propulseurs à poudre. La courbe indique le niveau de pression à l'intérieur de la chambre du moteur. © ESA-CNES-OptiqueVideoCSG

    La réussite du tir d'essai du tout premier P120C produit représente un jalon majeur dans le développement des futurs lanceurs européens Vega CVega C et Ariane 6Ariane 6, dont la construction a débuté. Deux autres tirs d'essai au banc sont prévus pour qualifier ce moteur avant le vol inaugural de Vega C en 2019 et celui d'Ariane 6 en 2020. 

    Un moteur commun à deux lanceurs 

    Développé conjointement par ArianeGroup et Avio, le P120C est le plus gros propulseur à poudre monolithique en fibre de carbone au monde. Il équipera à la fois Ariane 6, dans ses versions Ariane 62 à deux boosters et Ariane 64 à quatre boosters et le premier étage de Vega Cétage de Vega C. Trente-cinq exemplaires de ce moteur seront produits chaque année.

    Le saviez-vous ?

    Cette idée d’utiliser un moteur commun à deux lanceurs s’explique par la nécessité d’optimiser les coûts de développement de ces lanceurs et d’écourter les cycles de développement. Le P120C est donc un parfait exemple de rationalisation, puisqu’il équipera à la fois Ariane 6 et Vega C. À cela s’ajoute que la production de 35 moteurs, chaque année, permettra d’utiliser ainsi de façon optimale les infrastructures industrielles présentes sur le continent européen et en Guyane.

    Le P120C comprend deux principales composantes. La première est le corps structural, fabriqué par Avio et obtenu par bobinage et placement automatique de préimprégnés carbone/époxyépoxy. La seconde est la tuyèretuyère fabriquée par ArianeGroup et constituée de divers matériaux composites, dont carbone/carbone, qui permet d'éjecter à très grande vitessevitesse les gazgaz extrêmement chauds (3.000 °C) générés par le moteur, délivrant ainsi la poussée par transformation de l'énergieénergie des gaz de combustioncombustion en énergie cinétiqueénergie cinétique. Cette tuyère peut également pivoter, de sorte que le lanceur peut être piloté. La coulée du propergolpropergol et l'intégration finale du moteur sont réalisées en Guyane.

    Le P120C en chiffres : 

    • Longueur du moteur : 13,5 m
    • Diamètre : 3,4 m
    • MasseMasse du propergol : 142 t
    • Masse à vide du propulseur : 11 t
    • Masse du corps de propulseur : 8,3 t
    • Poussée moyenne : 4.500 kN
    • Poussée maxi. : 4.650 kN
    • Impulsion spécifiqueImpulsion spécifique : 278,5 s
    • DuréeDurée de combustion : 135 s

    Moteur à propulsion solide : premier essai pour Ariane 6 et Vega

    Article de Rémy DecourtRémy Decourt publié le 31/05/2018

    Pour limiter les coûts de développement et gagner en compétitivité, l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA) et le Cnes ont doté Ariane 6 et Vega C d'un moteur à propergol solidesolide commun, le P120. Un premier essai est prévu courant juin au Centre spatial guyanaisCentre spatial guyanais. Les explications avec Jean-Marc Astorg, directeur des lanceurs du Cnes.

    Alors que les premiers tirs des futurs lanceurs Vega et Ariane 6 auront lieu respectivement à l'automneautomne 2019 et en juillet 2020, le développement se poursuit selon le calendrier, sans retard. Prochaine étape : la réalisation d'un essai statique du moteur à propergol solide qu'auront en commun ces deux lanceurs. Baptisé P120, ce moteur sera utilisé comme premier étage du lanceur Vega C à partir de fin 2019, et comme étage d'accélération (EAP) pour les deux versions d'Ariane 6 à partir de mi-2020 : Ariane 62 avec 2 EAP et Ariane 64 avec 4 EAP.

    Après des essais réussis de suppression des oscillations de pressionpression sur le site de Gironde de DGA Essais de missilesmissiles (mars 2015) et de pression du corps de propulsion dans l'usine d'Avio de Colleferro, en Italie (juin 2017), trois essais de développement et de qualification sont prévus sur le site du Centre spatial guyanais. Ils ont pour but de vérifier la performance du moteur dans son ensemble.

    Comme nous l'explique Jean-Marc Astorg, directeur des lanceurs du Cnes, un premier essai est prévu courant juin dans « une configuration représentative d'un vol ». Plus de « 100 paramètres seront enregistrés lors de ces trois essais ».

    Le P120, le plus gros moteur à propergol solide monolithique du monde. © Cnes, ESA, service Optique du CSG
    Le P120, le plus gros moteur à propergol solide monolithique du monde. © Cnes, ESA, service Optique du CSG

    Cet essai sera-t-il réalisé sur le Banc d'essai des accélérateurs à poudre (BEAP) développé pour les boosters d'Ariane 5 ?

    Jean-Marc Astorg : Oui. Cependant, ce banc d'essai a été reconverti pour Vega et Ariane 6. Trois essais de développement et de qualification sont prévus. Le premier nous permettra de vérifier le bon fonctionnement général du moteur en conditions réelles d'exploitation. Les suivants, dits « de qualification », amèneront le moteur aux limites de ses capacités en termes de vitesse, de combustion, de température et de pression. Nous vérifierons aussi le respect de la loi de poussée.

    Qu'entendez-vous par « loi de poussée » ?

    Jean-Marc Astorg : Bien que la vitesse de combustion du propergol soit relativement constante, il est néanmoins possible de provoquer des variations importantes de la poussée du moteur afin d'optimiser la performance du lanceur. La poussée étant proportionnelle à la surface de combustion, en faisant varier celle-ci au cours du temps à partir d'une forme initiale du bloc de propergol, on peut obtenir la loi de poussée cherchée.

    Que cherchez-vous à vérifier ou à démontrer ?

    Jean-Marc Astorg : Globalement, l'objectif d'un essai au BEAP est de vérifier la performance du moteur : évolution de la poussée, impulsion spécifique, activation de la tuyère, etc. Ces données sont fondamentales pour valider la performance des deux lanceurs Ariane 6 et Vega C. Si l'on compare à l'aéronautique, c'est l'équivalent d'un banc de moteur d'avion sur un banc statique avant de partir pour des essais en vol sur avion !

    S'agit-il vraiment du plus gros moteur à propergol solide monolithique du monde ?

    Jean-Marc Astorg : Oui, lorsque le P120 sera en service, il sera bien le plus gros moteur à propergol solide monolithique du monde. Avec un diamètre de 3,4 m, une longueur de 11,7 m et un chargement en propergol de 143,6 tonnes, il détrônera l'actuel P80P80 de Vega. Ce dernier est un moteur actuellement en service mesurant 11,2 m de long, avec un diamètre de 3 m et un chargement en propergol de 88 tonnes.

    Le banc d'essai des boosters est situé sur le site du Centre spatial guyanais. Ici, essai d'un booster d'appoint d'Ariane 5 (mai 2000). Le banc a été modifié pour s'adapter aux moteurs à propergol solide d'Ariane 6 et Vega. © Cnes, ESA, service Optique du CSG
    Le banc d'essai des boosters est situé sur le site du Centre spatial guyanais. Ici, essai d'un booster d'appoint d'Ariane 5 (mai 2000). Le banc a été modifié pour s'adapter aux moteurs à propergol solide d'Ariane 6 et Vega. © Cnes, ESA, service Optique du CSG

    Quels sont les principaux intérêts d'un moteur à propergol solide monolithique ?

    Jean-Marc Astorg : D'abord, ils sont excellents pour donner un boost au décollage. Certes, les performances de ces moteurs sont moins brillantes que celles des moteurs à propulsion liquideliquide : un kilo de propergol solide produit une poussée inférieure à celle d'un kilo de propergol liquide. Mais, l'autre intérêt du monolithique, c'est qu'il est composé d'un segment unique, au lieu de plusieurs segments dont la coulée est réalisée séparément pour, après, être intégrés. Il n'a donc pas les liaisons qu'ont les boosters à poudre d’Ariane 5. Ces EAP sont constitués de 7 viroles qui sont autant de points de rupture potentiels et de sujets à problèmes. On se souvient tous de l'explosion, en janvier 1986, de la navette Challenger. Elle avait été provoquée par la rupture des joints toriques, situés entre les deux premiers segments du booster droit de la navette, provoquant vers l'extérieur une fuite de gaz incandescentsincandescents.

    Un autre intérêt des propergols solides est leur simplicité de préparation (préparés en des confections spéciales ou directement coulés dans le moteur) et d'utilisation (ils n'ont pas besoin d'un réseau de canalisationcanalisation comme cela est nécessaire pour les moteurs à propulsion liquide).

    Cette technologie est certes très maîtrisée. Mais quels sont les risques encourus ou les points à surveiller lors d'un décollage ?

    Jean-Marc Astorg : Il n'est pas possible de simuler au sol lors des essais statiques l'ensemble des phénomènes se produisant lors d'un lancement, en particulier l'effet de l'accélération sur le fonctionnement du moteur, les charges aérodynamiques, le fonctionnement sous vide, le pilotage du lanceur. C'est pourquoi un vol de qualification d'un nouveau lanceur est toujours une première !

    L'étage à poudre de la filière Vega-Ariane 6 a-t-il un potentiel de développement ou bien, avec ce P120, arrivez-vous aux limites de ses capacités ?

    Jean-Marc Astorg : Ce moteur a un potentiel de développement limité à quelque 180 tonnes de propergol solide mais, comme tous les moteurs à propulsion solide, il n'est pas souple vis-à-vis des évolutions. Quelle que soit la taille d'une évolution du moteur, il est nécessaire d'initier de nouvelles phases de développement qui sont très contraignantes en termes de temps et de budget. C'est très différent des moteurs à propulsion liquide, dont l'augmentation de la taille des réservoirs offre une plus grande souplesse d'évolution de la performance.