Des chercheurs ont rétabli un gène ancestral chez un embryon de drosophile pour étudier quelles mutations ont entraîné l’évolution de l’espèce vers sa forme actuelle. Pas encore de quoi recréer des  dinosaures mais très prometteur pour mieux comprendre les mécanismes évolutifs.


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    Cela ressemble au scénario d'un croisement des films La Mouche et Jurassic Park. Des chercheurs de l'université de New York et de Chicago ont réussi à créer une mouche dotée de gènesgènes disparus depuis 140 millions d'années. Un travail qui ne vise pas à ressusciter un quelconque mammouth à partir d'un éléphant mais à étudier les mutations qui conduisent à des changements évolutifs chez l'embryonembryon

    Les biais scientifiques dans l'étude de l'évolution

    « On sait depuis plusieurs années que ce sont les changements de certaines séquences ADNADN qui sont responsables de l'évolution au sein des espèces ainsi que de la séparationséparation entre deux espèces distinctes, mais la cause de ces changements reste encore un mystère », explique Stephen Small, un biologiste de l'université de New York et coauteur de l'étude parue le 9 octobre 2018 dans eLife. De nombreux travaux visent en effet à identifier le rôle exact de chaque protéineprotéine (codant pour les séquences ADN) dans le mécanisme d’évolution, mais les méthodes actuelles restent imparfaites. Simplement remplacer un gène actuel par un gène ancestral peut ainsi aboutir à des effets différents de ceux exprimés par ces derniers à l'époque en raison du phénomène d'épistasie, où l'interaction entre plusieurs gènes masque ou empêche l'expression d'autres facteurs situés à des endroits différents du gène. De même, en testant la fonction d'une protéine en la transférant d'une espèce vers un autre organisme « modèle », d'autres gènes non présents dans l'espèce d'origine peuvent empêcher son expression et donner des résultats négatifs.

    Deux versions du gène reconstruit à partir de sa forme ancestrale il y a 140 millions d’années donnent un développement différent de l’embryon de drosophile. © <em>Q.Liu et all., eLife 2018</em>
    Deux versions du gène reconstruit à partir de sa forme ancestrale il y a 140 millions d’années donnent un développement différent de l’embryon de drosophile. © Q.Liu et all., eLife 2018

    Tester des mutations évolutives sur la version originelle du gène

    Pour remédier à ce problème, les chercheurs ont utilisé une nouvelle approche : recréer « l'ancêtre » d'un gène présent chez la drosophile moderne pour en décliner plusieurs versions avec des mutations différentes. Ils ont pour cela choisi une protéine appelée Bicoid et codant pour le développement antérieur et postérieur du corps de la mouche. Les chercheurs ont d'abord créé des embryons non dotés de la fameuse protéine, qui se développent alors sans tête, avec deux queues à chaque extrémité. Ils ont ensuite testé sur le gène ancestral reconstitué plusieurs mutations de séquences ADN survenues entre cette époque et aujourd'hui pour déterminer lesquelles avaient eu un impact. Ils ont ainsi découvert deux protéines spécifiques jouant un rôle majeur dans la formation de la tête de la mouche. Ces protéines, associées aux mutations qu'elles engendrent, sont donc celles qui ont conduit à l'évolution vers la mouche moderne (du moins concernant la fonction de la formation du corps). « Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que nous montrons que deux modifications mineures de séquences ADN peuvent redessiner l'ensemble des fonctions du gène », appuie Stephen Small.

    Forts de cette réussite, les scientifiques espèrent à présent identifier toutes les protéines pour chaque mutation ayant conduit à l'espèce moderne de la mouche, ainsi que poursuivre leurs recherches sur d'autres espèces. De quoi peut-être mieux démêler les branches de l'arbre phylogénétique du vivant.