En 2021, une étude publiée dans la revue Nature proposait une extinction des mammouths très récente, il y a moins de 4 000 ans, en se basant sur de l'ADN environnemental. Aujourd'hui, une nouvelle publication dans la même revue réfute cette hypothèse, et discute de la date d'extinction de ces anciens éléphantidés.


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    Les derniers mammouths laineux auraient vécu jusqu'à il y a 4 000 ans. C'est ce qu'avait conclu une étude publiée dans Nature en 2021, sur la base de plus de 500 éléments sédimentaires du pergélisol (aussi appelé permafrost), en comparant ensuite l'ADNADN de mammouth retrouvé avec celui de plus de 1 500 plantes arctiques. Cette étude établissait, en plus d'une évolution des conditions climatiques d'il y a plusieurs millénaires, une chronologie complète de l'évolution des mammouths, séparant les différentes sous-espèces et leur duréedurée de vie. Selon elle, les tout derniers mammouths se seraient éteints récemment, il y a seulement 3 900 ans !

    Découvrez l'histoire de Jarkov, le mammouth laineux qui a voyagé... en hélicoptère ! © Futura

    Mais une nouvelle publication, à nouveau de la revue Natureremet cette date en question. Selon les chercheurs, l'ADN recueilli qui a servi à établir les dates serait bien plus complexe qu'on ne le pensait auparavant. « Le problème est que vous n'avez aucune idée de l'âge de cet ADN », a déclaré Joshua Miller, premier auteur de l'étude et paléontologuepaléontologue à l'université de Cincinnati, dans l'Ohio. « Les dépôts sédimentaires sont complexes. Des matériaux d'âges différents sont régulièrement enfouis ensemble. »

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    Vue d'artiste d'un mammouth laineux mâle au niveau d'un col de montagne, dans la partie arctique de l'Alaska il y a environ 17 000 ans. © James Havens

    Des échantillons d'âges différents et une persistance osseuse qui complique la datation

    Toute la question repose sur la datation. Grâce à la méthode du radiocarbone, il est possible de dater n'importe quel organisme vivant, en réalisant un comptage du carbonecarbone 14 résiduel. Ce dernier permet d'évaluer ensuite le temps qui s'est écoulé depuis la mort de l'organisme en question. Cependant, dans le cas où de l'ADN d'une autre espèce a été déposé, appelé ADN environnemental, la méthode ne s'applique pas de la même façon. « Nous pouvons dater toutes sortes de choses au radiocarbone : os, dents, charboncharbon de boisbois, feuilles. C'est très puissant. Mais actuellement, nous ne pouvons pas dater indépendamment l'ADN trouvé dans les sédimentssédiments », a expliqué Joshua Miller.

    En effet, du fait des conditions climatiques dans lesquelles se trouvaient les mammouths laineux, très froides, de l'ADN aurait pu être libéré très tardivement dans les sédiments, car les tissus mous et les restes squelettiques des mammouths se seraient décomposés très lentement après leur mort ! Le processus aurait même pu durer des milliers années, faussant ensuite la datation de l'ADN environnemental. « L'ADN est éliminé des organismes tout le temps, a complété Joshua Miller. En fait, l'ADN continue d'être éliminé longtemps après la mort de l'animal. Dans les endroits où la décomposition est lente, cela signifie que des espèces mortes depuis longtemps et même éteintes depuis longtemps peuvent continuer à se frayer un chemin dans les sédiments environnants. Cela peut prendre des milliers d'années pour que quelque chose se décompose. »

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    C'est grâce au climat froid régnant en Arctique que les os des mammouths ont pu être aussi bien conservés. © denissimonov, Fotolia

    Un phénomène qui s'applique d'ailleurs à tout le vivant ! « Les coquillages peuvent rester sur le fond marin pendant des milliers d'années. Lorsque vous voyez des coquillages sur la plage, certains peuvent provenir d'animaux morts récemment, tandis que d'autres peuvent provenir de coquillages morts il y a des millénaires, a complété Carl Simpson, coauteur de l'étude et paléontologue à l'université du Colorado. Cela se produit également dans le registre des vertébrésvertébrés. » Et serait aussi plus marqué pour les grands mammifères, possédant de plus gros os.

    Une date d'extinction mystère : entre il y a 10 000 et 4 000 ans

    Selon les chercheurs, la persistance osseuse ne serait pas la seule cause d'une mauvaise datation. « Les environnements arctiques sont souvent caractérisés par des processus induits par la glace (par exemple, le soulèvement par le gelgel et la cryoturbationcryoturbation - modification du sol sous l'effet du gel et du dégel) et géomorphologiques qui libèrent d'anciens fossilesfossiles à la surface, augmentant ainsi l'ampleur du mélange temporel au sein de l'eDNA (ADN environnemental) », explique l'étude.

    Reste à savoir ce que cela implique pour la datation de l'ADN environnemental retrouvé. Pour cela, les scientifiques ont évalué les températures des sites porteurs d'ADN de mammouths récents, et leur ont associé une persistance osseuse, en supposant qu'elle soit restée plus ou moins constante plusieurs millénaires. Or, selon eux, pour une température très basse du sol, de l'ordre de -10 °C, certains os, s'ils n'ont jamais été enterrés, pourraient se conserver jusqu'à 8 000 ans ! S'ils s'étaient éteints il y a 4 000 ans, on devrait donc pouvoir en retrouver d'intacts. Or, les plus récents retrouvés datent d'il y a 11 000 ans, et se trouvaient ensevelis dans le pergélisol.

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    Estimations de persistance pour les os qui sont probablement restés au moins partiellement exposés pendant toute leur histoire post-mortem (jamais enterrés ; points pleins) et les os qui ont été trouvés exposés, mais qui ont des antécédents post-mortem plus ambigus (potentiellement jamais enterrés ; cercles vides, lignes pointillées). © Miller, J.H., Simpson, Nature (2022).

    Alors quand les mammouths se sont-ils éteints ? L'étude conclut sur le fait qu'une date ne peut être trouvée pour le moment. Les restes sédimentaires datant d'il y a 4 000 ans trouvés dans l'étude de 2021 pourraient à la fois signifier que certaines populations mammouths ont survécu bien après il y a 10 000 ans, mais aussi que ce sont les conditions environnementales de l'Arctique qui ont permis la conservation des restes. Les chercheurs expliquent que « nous pouvons commencer à contrôler ce défi en évaluant les durées pendant lesquelles l'ADN d'espèces éteintes est incorporé dans les enregistrements sédimentaires ».

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    Différentes datations des fossiles de mammouths retrouvés (corporels en noir, et ADNe en gris), pour différentes régions du monde. La persistance prédite des os de mammouth pour chaque région s'étend à partir de la médiane de l'estimation de l'extinction basée sur les os. © Miller, J.H., Simpson, Nature (2022)